SOMMAIRE
Édito : à quoi servent les grands projets inutiles ?
Lyon-Turin : le train sans frein
Resistenza ! Résister, c’est exister deux fois (Erri de Luca)
La TAV non si farà : chanson transfrontalière
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À quoi servent les grands projets inutiles ?
En théorie, les grands travaux doivent, pour mobiliser légitimement de l’argent public, faire la démonstration de leur utilité. En pratique, les procédure de débat public sont des mascarades et il suffit aux promoteurs de trouver des soutiens politiques. Mais même quand ces projets ne servent pas l’amélioration de la vie collective ou quand leur coût est complètement disproportionné au regard du service rendu, il est important que comprendre que ces grands travaux imposés ne sont pas «inutiles» pour tout le monde…
Ils profitent évidemment à des entreprises privées comme Vinci à Notre-Dame-des-Landes, ou à des sociétés d’économie mixte telle que la Société des Coteaux de Gascogne à Sivens. Les contrats de travaux publics offrent l’immense avantage de se chiffrer en centaines de milliers, en millions, en milliards d’euros pour les plus gros chantiers. Cela en fait un secteur attractif, au point que pour profiter de la manne, des sociétés directement liées à la mafia ont pu s’infiltrer sur le projet du Lyon-Turin.

«L’homme à l’euro joue au petit train entre deux montagnes trouées» – Source : Reclaim your city
Ensuite, les projets inutiles profitent à des élus et à des fonctionnaires dont la mission serait théoriquement de faire prévaloir l’intérêt général, mais qui n’en font pas un principe d’action (pour dire cela gentiment). Quand on voit l’acharnement de certains d’entre eux à mener à bien des ouvrages infondés, on ne peut pas exclure l’hypothèse qu’ils tirent des bénéfices directs et privés de ces contrats publics, que ce soit pour eux-même et/ou pour leurs partis. Ces corruptions directes, aussi appelées « pots de vin » sont difficiles à mettre en évidence – cela ne veut pas dire qu’elles n’existent pas, ni qu’elles ne seront jamais découvertes.
Il peut aussi arriver que certaines personnes chargées d’une mission publique réorientent favorablement leur carrière en décrochant un poste à responsabilité dans un des grands groupes privés qu’ils ont favorisé dans le cadre de leur charge publique. Rendez-nous service, on vous revaudra ça.
Enfin de façon apparemment plus anodine, la confiscation de l’intérêt public peut se faire sur un mode électoraliste. «Voyez le bel équipement que je m’en vais vous construire. Demain, ce sera le retour de la croissance et après-demain, celui du plein emploi. Votez pour moi !». Cela n’est pas condamnable, à condition que l’ouvrage en question soit effectivement bénéfique pour la collectivité, ce qui est loin d’être toujours le cas.
Qu’il s’agisse d’une corruption de type économique, carriériste, politique, le résultat est le même : prise dans un processus de corruption, l’utilité publique de l’ouvrage est littéralement capturée pour générer des bénéfices privés. L’ouvrage en question passe alors au second plan par rapport à sa réalisation, ce qui conduit à négliger l’étude des solutions alternatives, même si celles-ci sont plus économiques pour la collectivité et éventuellement meilleures en termes de service public rendu.

Il existe déjà un direct Lyon-Turin, qui n’est pas saturé. La ligne vient d’ailleurs d’être refaite. Il existe aussi un aéroport à Nantes, qui n’est pas saturé non plus.
En troisième lieu, les grands projets inutiles servent les exigences sans cesse plus importantes de notre ancienne ennemie : «la finance». Dans ce processus de capture, non seulement les citoyens sont amenés à enrichir le secteur privé sans en tirer les bénéfices escomptés en termes de service public, mais en plus on les contraint à le faire avec de l’argent… qu’ils n’ont pas ! En complément des PPP, l’Europe a inventé à cette fin une astuce : le Project Bond ou obligation de projet, parfois évoqués sous le nom de Plan Junker. Le principe est simple.
Les États sont encouragés à lancer des grands projets, et donc à signer de grands contrats avec de grandes sociétés privées. Mais, comme dirait l’autre, les caisses sont vides. Cela tombe bien, il y a tout l’argent nécessaire. Où cela ? Mais sur les marchés financiers, pardi ! Ah évidemment, les marchés ne prêtent pas volontiers à des États en faillite. Mais la finance prête sans hésiter à la finance, surtout quand il y a des garanties publiques. Avec ce nouveau produit financier, appelé « project bonds » ou « obligation de projet », c’est donc une société privée qui fera les investissements nécessaires en empruntant de l’argent sur les marchés financiers. A elle, les marchés prêteront. D’autant plus que l’Europe garantira ces obligations via la Banque Européenne d’Investissement, ce qui en « rehaussera » la valeur financière. Et en cas de fiasco, les États payeront.
Cela n’a pas loupé : première expérience, premier fiasco. Dans le cadre d’un grand projet gazier, les contribuables espagnols ont gagné 500 tremblements de terre sur leurs côtes et perdu trente années d’indemnisation en faveur de l’entreprise privée, l’ouvrage ayant été abandonné. Quel réussite ! Puisque tout fonctionne comme prévu, réessayons. C’est justement ce qui est envisagé avec le Lyon-Turin.
Initialement chiffré à 3 milliards, il est aujourd’hui évalué à près de 30 milliards, sans compter les inévitables surprises de chantier, et prévoit la construction d’un nouveau tunnel de 57 kilomètre sous les alpes. Le plus long jamais construit, grace auquel les villes de Moscou et de New York ne seront plus qu’à quelques jours de train l’une de l’autre ! Mais si, je vous assure. C’est le chaînon manquant pour pouvoir aller rapidement d’un point à un autre n’importe où sur le globe. C’est en tout cas l’opinion de ses sponsors, en toute objectivité.
Et lorsque François Hollande a annoncé le 26 février 2015 que l’ouvrage coûterait 3 milliards, il n’a pas du tout menti. Il a simplement oublié de préciser que cela ne concernait qu’une toute petite tranche des travaux. La cour des comptes elle-même a d’ailleurs évalué l’ouvrage à 26 milliards d’euros en 2012 et a clairement donné un avis défavorable : le projet est ruineux. Mais ses promoteurs, réunis au sein du comité La Transalpine (présidé par Franck Riboud, ex PDG de Danone) sont tout à fait favorables à l’utilisation de Project Bonds. Ces outils financiers constituent, selon eux, « une hirondelle dans l’hiver de l’investissement ». Poètes, avec ça.
Enfin, dernier aspect essentiel : les grands projets inutiles servent à imposer une conception militarisée de l’ordre social. Ils sont l’occasion de réprimer violemment et publiquement les opposants, de les mutiler ou même de les tuer sans qu’aucune protestation massive n’ait lieu. Ne faites pas attention, ce sont des écologistes. Des black blocs. Des radicaux. Des grands mères. Des chômeurs. Des paumés. Des antifascistes. Des babacools. Des néoruraux. Des anciens révolutionnaires. Des nouveaux anarchistes. Bref, des gens qui n’ont pas compris l’importance de ce barrage. De cet aéroport. De cette autoroute. De cette ferme à mille vaches. De ce Center parcs. De ce chemin de fer.
Ce sont des gens qui auraient manifesté contre l’invention de la roue, vous comprenez ! Inutile de vous montrer solidaire, ne vous fatiguez pas. De toute façon nous sommes les plus fort, regardez.
C’est ainsi que les grands projets installent peu à peu dans le paysage une violence qui n’est pas seulement policière : une violence d’État, de région, de conseil général. Une violence politique.
En Italie, la vallée de la Suse vit donc sous occupation militaire pour permettre les fameux «sondages» censés préparer les travaux. Près de 150 années de peines de prison ont été prononcées fin janvier 2015 contre une cinquantaine de personnes, qui s’étaient opposés au Lyon-Turin en 2011. Soit une moyenne de trois ans par personne ! Les mobilisations de terrain sont réprimées de façon particulièrement sévère et l’écrivain Erri de Luca risque lui aussi cinq ans de prison pour avoir publiquement soutenu les opposants.
Ainsi, notre droit collectif de protester et d’émettre des critiques à l’égard des grands projets est directement menacé par les plaintes d’une société privée domiciliée en France, la Lyon-Turin Ferroviaire (récemment métamorphosée en Tunnel Euralpin Lyon Turin), qui ont été validées par le parquet de Turin. Une société de droit privé s’associant à un procureur de la république pour réprimer une contestation sociale : au fond, n’est-ce pas l’aboutissement rêvé d’une politique de Partenariat-Publics-Privés ?
Pendant ce temps, on nous explique qu’il faudrait supprimer 22000 postes dans les hôpitaux publics. Par mesure d’économie, bien entendu.
Contre ces politiques criminelles, faisons du bruit avec nos sabots !
Le Lyon-Turin, train sans frein (duo)
Le 24 février 2015, lors d’une conférence de presse aux côtés de Matteo Renzi, François Hollande a fièrement annoncé : «Nous pouvons maintenant dire que le Lyon-Turin est non seulement acté, mais lancé.» Cherchant une tournure originale et frappante, il a cru bon d’ajouter : « Il n’y a plus aujourd’hui aucun frein pour aller vers la réalisation de cet ouvrage».
Malgré un coût prévisionnel de 30 milliard et sa vocation à traverser les Alpes, le Lyon-Turin serait donc livré sans frein ? Duo au bord du précipice, avec un président en roue libre.
LE LYON-TURIN, TRAIN SANS FREIN
François Hollande 24.02.2014
« Nous pouvons maintenant dire que le Lyon-Turin est non seulement acté, mais lancé […] Il n’y a plus aujourd’hui aucun frein pour aller vers la réalisation de cet ouvrage.»
Vers un déficit
Qui se creuse en milliards
De plus en plus vite
Et dans le brouillard
Tout droit vers l’abime
Depuis plus de vingt ans
Une vielle transalpine
Cherche son élan
F. Hollande
«Il n’y a plus aujourd’hui aucun frein
Aucun frein, aucun frein
Il n’y a plus aujourd’hui aucun frein
Au Lyon-Turin, au Lyon-Turin !»
L’ouvrage ambitieux
Doit ramener la joie
Un avenir radieux
Et le plein emploi
Oui mais pour l’instant
Il y a surtout des poids lourds
Qui couvrent de polluants
Les vallées alentours
Il n’y a plus aujourd’hui aucun frein
Aucun frein, aucun frein
Il n’y a plus aujourd’hui aucun frein
Au Lyon-Turin, au Lyon-Turin !
Pour la bagatelle
D’à peine trente milliards
L’avenir vous appelle
Attention au départ
La France et l’Italie
Avancent en binôme
Enfin réunies
Dans un même train fantôme
Il n’y a plus aujourd’hui aucun frein
Aucun frein, aucun frein
Il n’y a plus aujourd’hui aucun frein
Au Lyon-Turin, au Lyon-Turin !
Tout le monde en veut
C’est la fête en backstage
Pour le nouveau jeu
Du « project bondage »
On emprunte tout
L’État est garant
Certains gagnent un trou
D’autres, plein d’argent
Il n’y a plus aujourd’hui aucun frein
Aucun frein, aucun frein
Il n’y a plus aujourd’hui aucun frein
Au Lyon-Turin, au Lyon-Turin !
De Lyon à Turin
Il y a déjà un chemin de fer
Personne ne s’en plaint
Personne ne s’en sert
La saturation
Est aussi dramatique
Que celle des avions
A Nantes Atlantique
Il n’y a plus aujourd’hui aucun frein
Aucun frein, aucun frein
Il n’y a plus aujourd’hui aucun frein
Au Lyon-Turin, au Lyon-Turin !
Et même s’il déraille
Ah quel beau projet
Ça fait de la ferraille
Pour les financiers
Notre président
Mieux qu’avec le chômage
Inversera sûrement
La courbe des alpages
Il n’y a plus aujourd’hui aucun frein
Aucun frein, aucun frein
Il n’y a plus aujourd’hui aucun frein
Au Lyon-Turin, au Lyon-Turin !
LIONE-TORINO, TRENO SENZA FRENO
Parole e musica : la Parigina Liberata
Traduzione : Pierre
F. Hollande, 24.02.15
« Possiamo adesso dire che il Lione-Torino non è soltanto deciso, ma addirittura lanciato (…). Non esiste più nessun freno per la realizzazione dell’opera. »
Verso un deficit
Che si scava di miliardi
Sempre più rapidamente
E nella nebbia
Diritto verso l’abisso
Da più di venti anni
Una vecchia transalpina
Cerca lo slancio
F. Hollande
« Non c’è più nessun freno
Nessun freno, nessun freno
Non c’è più nessun freno
Al Lione-Torino, al Lione-Torino ! »
L’opera ambiziosa
Deve portare la gioia
Un avvenire radioso
E la piena occupazione
Sì, ma per ora
Ci sono sopratutto autocarri
Che coprono di prodotti inquinanti
Le valli intorno
(ritornello)
Per la bazzecola
Di trenta miliardi
L’avvenire vi chiama
Attenzione alla partenza
La Francia e l’Italia
Avanzano insieme
Infine riunite
Nello stesso treno fantasma
(ritornello)
Tutti ne vogliono
È la festa backstage
Per il nuovo gioco
Del « project bondage »
Tutto si prende a prestito
Lo Stato si fa garante
Alcuni guadagnano un buco
Altri, molti soldi
(ritornello)
Da Lione a Torino
C’è già un ferrovia
Nessuno se ne lamenta
Nessuno se ne serve
La saturazione
È così grave
Come quella degli aerei
A Nantes Atlantique
(ritornello)
E anche se deraglia
Ah, che bel progetto !
Fa rottami di ferro
Per i finanzieri
Il nostro presidente
Meglio che per la disoccupazione
Invertirà di sicuro
La curva dell’alpeggio
(ritornello)
Resistenza ! Erri esistenza
Un des traits de caractère frappants d’Erri de Luca, c’est qu’il fait preuve d’une grande cohérence, d’une profonde constance dans ses propos. Même à plusieurs années d’intervalle, il reste fidèle à sa pensée. On sait où le trouver. Oui, il soutient les opposants au Lyon-Turin. Non, il ne fera pas appel d’une éventuelle condamnation. Oui, son corps est d’accord. Il faut résister, la résistance est une ré-existence. Résister, c’est exister deux fois.
Cette vidéo, où Erri de Luca s’exprime en italien, est sous-titrée en français. Pour faire apparaitre la traduction, cliquez sur la deuxième icône en bas à droite de la vidéo (petit rectangle avec deux traits dedans, entre l’horloge et la roue crantée).
voir sur vimeo – dailymotion – youtube – télécharger l’audio
RESISTENZA ! ERRI DE LUCA
Montaggio e musica : la Parigina Liberata
Resistenza è ri-esistenza. È esistere due volte
Erri de Luca – La epoca dei feudatari e finita I sudditi non esistono più, qui ci sono cittadini (…) E questo è il motivo ché me fa dire ché qui, non passeranno !
Giornaliste – Sua frase « la TAV va sabotata » (…) « la TAV va sabotata, le cesoie sono utili perché servono a tagliare gli retti »
Resistenza ! Resistenza e ri-esistenza, e esistere due volte
Io penso ché quella opera cadrà, non si farà. Quella cantiere Chiomonte verrà chiuso.
Questa battaglia nasce localizzata in qual posto, in quella val di Susa dove una procura della repubblica ha voluto, ha intesa la sua funzione comò repressione di movimento di massa (…) Gli ultimi due anni quella procura della repubblica ha procurato circa une migliaio di incriminazioni dunque c’è una volontà di repressione di movimento di massa
Resistenza e ri-esistenza, e esistere due volte
Giornalista – Avete detto ché la TAV Torino-Lione andrebbe sabotata
Erri de Luca – Va sabotata
Giornalista – Va sabotata. Perché va sabotata ?
Resistenza !
Erri de Luca – Si sa già ché la TAV non si farà ma intanto cercano di cavare da quel buco il massimo de profitto possibile, comò e successo per une mucchio, centinaia, di grandi opere pubblici ché sono rimaste così, a meta…
Quella cantiere Chiomonte verrà chiuso
La TAV non si farà, e lo sappiamo tutti, lo sanno tutti, lo sanno anche quelli ché estendo continuando a scavare il buco ma cercano di la fare quando più possibile [??]
Io penso che quella opera cadrà
Siamo il paese ché a il più alto grado di corruzione in Europ