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Le Mix : «L’injustice d’Altsasu»

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Récit musical du procès politique d’Altsasu, une affaire qui passionne l’Espagne et le Pays basque, dans laquelle l’antiterrorisme sert d’instrument à la répression des revendications antimilitaristes. Le parquet a requis une peine totale de 375 ans de prison contre huit jeunes Basques, accusés d’avoir molesté deux policiers. Euskara / Castellano.


Des sous-titres sont disponibles en euskara et en espagnol. Pour les activer, lancer la lecture puis cliquer en bas à droite de la vidéo sur le rectangle blanc et la roue crantée. Licence creative commons.

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L’injustice d’Altsasu

En France on parle peu, voire pas du tout
Du procès politique d’Altsasu,
Qui illustre, non sans cynisme,
Les dérives de l’antiterrorisme,

Avec une spectaculaire réquisition
De 375 années de prison
Pour une bagarre de bar et une cheville cassée,
Certes, pas n’importe laquelle : celle d’un policier.

«Sur le banc des accusés sont assis Jokin, Adur, Julen, Iñaki, Jon, Aratz, Oihan, Ainara»

Sur le banc des accusés sont assis
Jokin, Adur, Julen, Iñaki
Jon, Aratz, Oihan, Ainara.
Au début du procès, Amnesty déclara :

Amnesty International – 16 avril 2018 – source
« Ces poursuites découlent d’une utilisation abusive des lois antiterroristes espagnoles.
[…] Ce cas illustre les risques qui se nichent dans des lois formulées en termes généraux et vagues, pouvant être utilisées pour criminaliser des comportements très éloignés de toute menace terroriste. »

« Ces poursuites découlent d’une utilisation abusive des lois antiterroristes espagnoles. »

Un soir de fête

C’est en octobre 2016 que notre histoire commence.
Huit jeunes Basques sont accusés de violences
Contre deux policiers et leurs fiancées
Qui, au bar Koxka, se désaltéraient.

« Huit jeunes Basques sont accusés de violences contre deux policiers et leurs fiancées qui, au bar Koxka, se désaltéraient.»

C’était soir de fête à Altsasu
Et tout le monde, c’est vrai, ne se souvient pas de tout.
Il semblerait qu’un petit verre en plastique
Ait visé un tenant de l’ordre public.

Les gardes civils, comme leur nom ne l’indique pas,
Sont militaires de leur état.
Ils n’étaient pas en service, au moment des faits,
Mais à Altsasu, tout le monde se connaît.

À partir de là, les versions diffèrent.
Je vous propose, pour tenter d’y voir clair,
De retrouver sur place notre experte Candice,
Qui a pu s’entretenir avec la police.

— Oui, bonjour à tous. Écoutez, ce qu’on sait,
C’est qu’un des policiers a eu la cheville cassée.
On parle d’hématomes, de stress post-traumatique
Ayant eu un fort impact psychologique…

— Combien d’agresseurs ? — Entre cinquante et vingt.
— Il était quelle heure ? — Cinq heures du matin.
L’alcool a pu aider, mais pour moi, on est là
Devant un authentique attentat.

— Un attentat… carrément ?
— Les jeunes se connaissent manifestement.
— Et par conséquent ? — Tout est prémédité !
Les faits dont on parle sont de la plus haute gravité.

Les Basques sont des monstres, des sauvages, des bêtes.
C’est d’ailleurs pour ça qu’ils ne parlent qu’un dialecte,
Et sur les mauvais coups, ils sont tous complices.
— Merci de vos lumières, Candice…

Nous retrouvons à présent l’avocate
Chargée de plaider cette affaire délicate.
Maître, bonjour, racontez-nous.
Que s’est-il passé à Altsasu ?

Altsasu est une municipalité de 7500 habitants située au Pays basque, dans le nord de la Navarre

— Mes clients n’ont lynché personne à Koxka.
Au moment des faits, certains n’étaient pas là.
Toute l’enquête est à charge, la défense est bafouée.
On nage dans la plus totale absurdité.

— Ne pouvez-vous pas prouver leur innocence ?
— Il aurait fallu que les circonstances
Nous permettent de présenter des preuves au procès.
Or la plupart nous ont été refusées.

— Selon vous, l’affaire est politique ?
— Il ne s’agit pas d’un lynchage public.
On parle de quatre bleus et d’une cheville cassée.
Un peu de mesure dans l’appréciation des faits !

***

Une bagarre ce n’est pas rien, en Navarre comme en France.
Contre des policiers commettre des violences,
C’est s’exposer à des condamnations
En théorie, avec proportion,

Punies par amendes et peines de détention.
Les litiges comparables, chaque année, sont légion,
Mais dans le cas présent, l’accusation décida
De faire d’Altsasu une affaire d’État.

Affaire d’État

Le lendemain des faits, tout à coup :
« Soutien et réconfort à la garde civile d’Altsasu.
La brutale agression que deux de ses membres ont subie
Ne restera pas impunie. »

Mariano Rajoy – 16 octobre 2016 – source

Tweet personnel de Mariano Rajoy, le lendemain des faits

Alerté par l’offense à la Guardia civil,
Le « Groupe d’Action Rapide » investit la ville.
Les télévisions s’emparent de l’événement
Et diffusent leurs archives en mode angoissant.

Images El Mundo – 16 octobre 2016 source

Au lieu du tribunal provincial de Navarre,
Qui semblait compétent pour juger la bagarre,
Il est décidé que les faits sont suspects
De terrorisme présumé.

Cuellilargo – 22 mai 2018 – source
« Al parecer, algunos de los acusados simpatizan o pertenecen al “movimiento Ospa” de Alsasua. Entonces como el “movimiento Ospa”sigue el reclamo “Alde Hemendik” (“¡Que se vayan!”) que fue un reclamo también defendido por ETA cuando la organización todavía existía, pues pum : terrorismo. »
« Il semblerait que certains des accusés sympathisent ou appartiennent au “mouvement Ospa”d’Altsasu. Donc comme le “mouvement Ospa” utilise le slogan “Alde Hemendik” (“Qu’ils partent !”), slogan qui fut également utilisé par ETA lorsque l’organisation existait encore, donc poum : terrorisme. »

L’affaire est confiée à l’Audience nationale.
Madrid contre les Basques, ça fait vendre le journal.
Le procureur requiert, tonitruant,
En tout pour les huit, 375 ans…

Ahötsa Info – 9 mai 2018 – source
« La sensación que me dio era estar en el juicio 18/98, con la teoría de todo es ETA. Pero todavía quizás es más grave cuando estamos en un nuevo ciclo político, ETA ya se ha disuelto, se ha deshecho. […] El fiscal llegó a decir que es igual que maten o que organicen carrozas de carnaval. »
« Cela m’a donné la sensation d’être au procès 18/98, avec la théorie de “tout est ETA”. Mais c’est peut-être encore plus grave, puisqu’on qu’on est dans un nouveau cycle politique, ETA s’est dissoute, s’est défaite. […] Le procureur en est arrivé à dire que c’est pareil de tuer ou de faire des chars de carnaval. »

Le jugement d’Altsasu

Ça s’annonçait mal pour les accusés,
Quand la Garde dénonce, instruit le dossier
Et que c’est aussi elle qui rend son jugement,
Résume amèrement l’une des mamans.

TV3 – 16 avril 2018 – source
« El lunes empieza el juicio en la Audiencia Nacional, ¿que creéis que va a pasar?
— Pues mira, vamos a un juicio, en el que no nos admiten prácticamente pruebas, en el que nos han rechazado muchísimos testigos, y en el que el tribunal está presidido por la señora Espejel que es la mujer de un alto mando de la Guardia Civil, y ella misma está condecorada por la Guardia Civil. Entonces tenemos que la Guardia Civil nos denuncia, nos investiga, y nos juzga. »
« Lundi commencera le procès à l’Audience nationale. Que pensez-vous qu’il va se passer ?
— Écoutez, nous allons à un procès dans lequel on a refusé pratiquement toutes nos preuves, ainsi que de nombreux témoins, et dont le tribunal est présidé par Madame Espejel, qui est la femme d’un haut gradé de la Garde civile. Elle-même est décorée de la Garde civile. Donc nous sommes dans une situation où la Garde civile nous accuse, mène l’enquête, et nous juge. »

Mais à force d’insister, les avocats des prévenus
Ont pu passer une vidéo où tout le monde a vu
L’ambiance devant Koxka, juste après les événements,
Tempérant fortement le témoignage des plaignants :

Eitb/Altsasu gurasoak25 avril 2018 – source

L’homme vêtu de blanc est l’un des policiers lynchés.
Il passe devant des accusés sans les identifier.
Il n’a pas l’air terrifié, sa chemise est impeccable
Et quand il voit qu’on filme, il dégomme le portable.

***

Dans son jugement de juin, le tribunal
N’a pas suivi jusqu’au bout le parquet infernal.
Le caractère terroriste n’est pas avéré,
Mais voici la liste des peines prononcées :

Oihan / 13 ans
Iñaki / 13 ans
Jokin / 12 ans
Adur / 12 ans
Jon / 9 ans
Julen / 9 ans
Aratz / 9 ans
Ainara / 2 ans

Soit un total de 79 années de prison
Et une peine moyenne de 10 ans de détention.

Les jeunes auraient agi par « animosité »
Et « mépris » envers les policiers.
« 
L’abus de supériorité » et « la haine »
Sont retenus pour alourdir les peines.

Le parquet fait appel du jugement.
Il redemande 375 ans.
Seule Ainara reste en liberté.
Tous les autres jeunes sont incarcérés.

Gaixe – 5 juin 2018 – source
Le départ d’Iñaki

[Candice]
— Vous allez nous faire pleurer pour un criminel
Qui rejoint sa cellule, quand les vraies victimes, elles,
Passent pour des bourreaux dans vos alexandrins !
Vous n’avez vraiment honte de rien.

«Vous n’avez vraiment honte de rien»

— Pardon Candice, vous vous méprenez.
L’affaire est complexe. Nous devons expliquer
Pourquoi ces jeunes gens viennent de prendre dix ans,
Ce qui n’a rien d’évident.

— Disons que Madrid a su saisir l’occasion
D’affirmer son autorité dans la région.
— Elle en avait besoin ? — Et comment !
Il faut tenir les Basques et les Catalans.

Et croyez-moi, ça n’est pas une partie de plaisir.
Ces suprémacistes sont durs du cuir…
— Mais comment, par exemple, a-t-on pu prouver
Que c’était la haine qui les animait ?

— Une façon d’être. Certains regards disent tout !
— Cela reste vague pour dix ans au trou.
— Mais ouvrez les yeux ! L’ensemble du village
Est comme contaminé par une sorte de rage.

Il suffit d’assister au festival d’Ospa
Pour sentir planer l’ombre d’ETA.
Cette manière insolente de moquer l’escadron
Méritait une bonne correction !

Ahötsa Info – 27 août 2016 – source
I
mages du festival d’Ospa 2016

Et si ce n’est pas eux, c’est donc leur frère,
Leur mère, leur grand-père, dont ils ont bu la colère.
— Ah oui, je vois. Un peu comme Dracula ?
— Oui, la nuit, tous les Basques sont d’ETA !

[L’avocate]
— Pardon de vous interrompre, puis-je intervenir ?
— Mais je vous en prie, ça ne peut pas être pire.
— Je suis scandalisée d’entendre de tels propos.
Tout ce que dit votre experte est totalement faux.

L’affaire n’est pas terroriste, un point c’est tout.
Quand va-t-on laisser en paix Altsasu ?
— Quelle idée aussi de demander le départ
Des forces d’ordre public du sol de Navarre !

— C’est une autre question, mais si vous insistez,
Je veux bien vous faire un rapide résumé,
Car dans cette affaire, l’antiterrorisme
Sert à criminaliser l’antimilitarisme.

La revendication antimilitariste en Navarre

L’État espagnol et son unité
Ont connu une construction mouvementée.
Il en est résulté un certain nombre d’autonomies
Et de compétences qui, selon les lieux, varient.

La communauté autonome du Pays basque
A obtenu le droit d’avoir ses propres casques,
Qui ne gèrent pas l’ordre public de manière complète,
Mais la Garde espagnole, là-bas, est plus discrète.

À Altsasu, au contraire,
Madrid est très généreuse en militaires,
Qui contrôlent intensivement la population,
Au point d’être vécus comme une force d’occupation.

«À Altsasu, au contraire, Madrid est très généreuse en militaires»

Entretien avec Bel Pozueta – 23 juillet 2018
« Controles a cualquier hora. Controles selectivos, no es que pongan muchos coches pero ponen un coche, ellos van mirando, y te paran cuando quieren. Eso es muy muy habitual. »
« Des contrôles à n’importe quelle heure. Des contrôles sélectifs. Non pas qu’ils mettent beaucoup de voitures, mais ils mettent une voiture, ils regardent, et ils t’arrêtent quand ils veulent. C’est très très habituel. »

Alde Hemendik / clip parodique Ospa 2012 – 16 octobre 2012 – source
« Les grabamos, les controlamos, incluso colapsamos la entrada del pueblo para que los elementos subversivos y transgresores, terroristas,
separatistas, rojos… No compañeros, me refería a los “izquierdosos”, a los “progres” (progresistas), bueno 
¡al enemigo, coño, al enemigo! »
« On les filme, on les contrôle, on bloque l’entrée du village, pour que les éléments subversivo-transgressivo-séparatisto-rouges – je ne fais pas référence aux collègues, hein, mais aux gauchistes, aux progressistes, bref, à l’ennemi, putain, à l’ennemi ! »

Il existe ainsi depuis longtemps dans la région
Différentes formes de revendication
En faveur du départ de la benemerita :
« On n’en a pas besoin et on n’en veut pas. »

Ahötsa Info – 1 septembre 2018 – source
Images du festival Ospa 2018

« Ni os queremos, ni os necesitamos »,
« Alde Hemendik », « Utzi bakean »,
« Ni os queremos, ni os necesitamos ».
Qu’ils nous laissent en paix ! « ¡Qué se vayan! »

Revendication sur le fond partagée
Du centre droit à la gauche abertzale.
« Que la Garde civile et la police nationale
Aillent se faire cuire un œuf à la capitale ! »

Pour donner plus de poids à la police locale
Ou pour mettre à terre les forces du capital,
Chacun a ses raisons de démilitariser.
On en discutera ensemble quand ça sera fait.

«À bas le capitalisme !»

Au lieu de fantasmer l’éternel retour d’ETA,
Le gouvernement peut-être se rappellera
Qu’au Pays basque, certains antimilitaristes
Ont rejoint les rangs du parti socialiste

« Nous ne voulons pas la guerre »

Le procès en appel se tiendra dans quelque mois.
Sur les murs d’Altsasu, on peut lire ici ou là :
« Altsasukoak Akse ! »
« Pour ceux d’Altsasu, liberté ! »

« Pour ceux d’Altsasu, liberté ! »

Ces jeunes de 20 ans, étudiants en musique,
En maintenance, en robotique,
Ce futur instit’, ce menuisier,
Cette auxiliaire de vie, ce cuisinier,

Sont désormais soutenus par un voisinage
Qui va bien au-delà du simple village.
Les manifs de juin ont rassemblé
Des participants par dizaines de milliers.

C’est que l’histoire ici encore résonne.
La dureté de Madrid n’étonne personne.
L’injustice d’Altsasu génère de la colère,
Mais on refuse le piège, donc on refuse la guerre.

TV3 – 16 avril 2018 – source
« Nos van a generar dolor pero no nos vamos a vengar. Que no esperen que entremos en esa dinámica, no queremos guerra. Si quieren guerra, no queremos guerra. No. »
« Ils vont nous faire souffrir mais nous n’allons pas nous venger. Qu’ils n’espèrent pas nous faire entrer dans cette dynamique, nous ne voulons pas la guerre. Si eux veulent la guerre, nous ne voulons pas la guerre. Non. »

Ahötsa Info – 16 juin 2018 – source / source
Manifestation de soutien aux huit d’Altsasu à Pampelune

« Les manifs de juin ont rassemblé des participants par dizaines de milliers »

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